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CARNET DE VOYAGE

Extrait V - De la numérisation de l'âme

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Rencontrer, c’est consacrer sa présence, son temps, donc son énergie vitale. Les routes se croisent sans cesse, que ce soit pour quelques poussières de secondes ou la durée d’une vie. Des mosaïques de sourires, de regards interrogateurs, de moues mystérieuses et de poignées de main. Nos Êtres sont toujours en mouvement, ils échangent des émotions et des informations dans un monde invisible qui pourtant nous traverse de part en part. Personne n’est imperméable, personne n’est épargné ; heureusement, car un Homme privé de ces liens secrets s’éteindrait comme une bougie privée d’air.

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Pourquoi l’oublions-nous ?

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Je suis profondément attristé par le sombre placard dans lequel s’enferment tant de gens autour de moi, les yeux pâles rivés sur un écran qui agit comme une substance hautement addictive. Le dos courbé, les pouces crochus, le corps qui attend le retour d’une conscience bien trop éloignée, toujours “connectée” ailleurs, mais jamais ici. Nous passons parfois plusieurs jours dans la même auberge de jeunesse et la tendance est clairement à l’atomisation des communautés de voyageurs. Quand ces jeunes nomades quittent le monde virtuel, la peur de croiser le regard des compagnons de dortoirs est saisissante. Les mots sont pauvres, l’attitude sans vie, comme si le corps prenait vengeance sur des heures trop longues passées sur une couche, affalé, dévoré par le téléphone et ses réseaux charognards.

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Pourquoi l’oublions-nous ?

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A l'heure où nous accordons beaucoup d'attention aux "followers" sur les plateformes comme celle-ci, aux "matchs" sur les applications amoureuses, aux “likes” sur nos publications, il fait bon de le rappeler. Le monde n’est pas digital ; il est sans filtre et majestueux, il regorge de dangers et de lumières. Le tourisme ressemble aujourd’hui à une chasse aux endroits populaires plutôt qu’à la découverte de nouveaux horizons inconnus. L’Ego se sert du paysage pour se sentir plus beau alors que l’Être profond se nourrit de la beauté du paysage per se. La recherche d’un Moi plus authentique ne passe pas nécessairement par un certain nombre de kilomètres parcourus, il n’y a même aucune corrélation entre les deux - à mon humble avis. Méditez en Indonésie, exercez votre yoga en Inde ; si vous privilégiez l’Avoir à l’Être, la route est faussée de toute manière.

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Pourquoi l’oublions-nous ?

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Cet essai s’inspire d’un souhait que j’ai longuement maturé, et maintes fois discuté en compagnie de mon petit frère. Gardons à l’esprit le sens sacré de nos gestes, de nos paroles, et de nos écrits. Même lorsque l'espace est virtuel ... Restons humains.

 

Octobre 2023

Brisbane, Australie.

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Extrait IV - Une pensée comme Bilbo

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Voyager permet de jouir des beautés du monde. Mais les plus précieux trésors sont souvent bien plus proches ; ce sont nos familles et nos amis, nos maisons et nos jardins.

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Septembre 2023

Littoral de Victoria, Australie.

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Extrait III - Acte d'abnégation

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Cette pente est interminable. Nos muscles brûlent, alors que nos cherchons un second souffle salvateur, puis un troisième. Nos semelles ripent régulièrement sur le sol rocailleux - signe de la fatigue qui nous ronge le long des Galciers. Il fait déjà nuit noir, et les précautions supplémentaires que nous prenons pour ne pas nous tordre une cheville nous ralentissent davantage.

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Je pense à cette pente infernale, mon sac à dos semble s'alourdir.

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Je pense au retour du lendemain, mon sac pèse maintenant une tonne.

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Et puis, je pense à l'accomplissement de ce trek. A ce que nous sommes en train de réaliser, ici, au milieu de nulle part, relevant un défi que nous nous imposons à nous-même. Mon pas devient plus léger, plus ferme. Les mains aggrippent à nouveau les lanières du sac à dos, les dernières ressources des bras volant au secours des jambes enflammées. La pente se termine, le refuge est en vue.

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Nous ne contrôlons pas grand chose de ce qui nous entoure. Les changements météorologiques, le relief du terrain façonné par les Âges, nos propres limites physiques et biologiques. Mais nous gardons toujours le pouvoir de l'attention : la perspective de la pente qui alourdit la sac à dos, ou celle de l'accomplissement qui soulage nos pas.

 

Et vous, avec quels verres observez-vous le monde ?

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Août 2023

Lieu : Province du Westland, Nouvelle-Zélande

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Extrait II - Inspirations

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"Je n'ai pas la fibre artistique"

 

Cette phrase m'a accompagné durant toute mon adolescence, et puis, une bonne partie de ma vie de jeune adulte. Jusqu'à ce que ...

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Jusqu'à ce que mon grand-père me confie qu'il regrettait ne pas avoir plus de temps pour lire mes Recueils de pensées. Comment cette idée saugrenue avait-elle bien pu effleurer sa conscience ? Pourtant, je m'efforce désormais à marier les mots comme si son regard pouvait les observer à travers le mien.

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Il y a deux ans, je sortais d'une rupture amoureuse compliquée. Le sommeil torturé, un trait lumineux vint percer la grisaille de mes délires nocturnes. Je suis assis à l'étage supérieur d'une imposante cathédrale. Les rayons dorés traversent les vitraux et bercent le lieu dans un calme sans pareille mesure. C'est alors que mon frère Joaquim apparaît, souriant, en tenant dans sa main un livre aux pages encore vierges. "Tu dois écrire" me dit-il tout simplement.

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Toutes ces lignes procèdent d'une même inspiration, à la croisée des chemins nimbés de mystères : la noirceur de la mort, la couleur du rêve, la tragédie du réel.

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Juillet 2023

Lieu : Wellington, Nouvelle-Zélande

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Extrait I - L'expérience du Sublime

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Imaginez un instant. Votre corps est allongé sur le sol, le silence règne jusqu'à la ligne d'horizon, et vos yeux se perdent dans une constellation infinie qui absorbe vos pensées. Ce sentiment-là, c'est ce qu'on nomme l'expérience du Sublime.

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Après tout, nous ne sommes pas grand chose. Une comète entre deux néants, une étincelle à peine visible. Vous vous surprenez à poser une nouvelle fois cette fameuse question sans réponse ; Dieu existe-il ? On dit qu'il laisse suffisamment de lumières dans l'univers pour qu'on puisse venir à sa rencontre, suffisamment de poussières pour qu'il nous reste caché.

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Foi ou non, vous ressentez la dimension divine qui anime ce spectacle célèste. Une seule certitude. Nous sommes un fragment de cet univers ; il est une part de nous-même.

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Les grands espaces nous ramènent à notre petitesse. La puissance des montagnes nous rappellent à notre faiblesse. Les caprices du vent nous compriment et nous menaçent. Ces leçons d'humilité nous viennent de la nature qui nous entoure, et étrangement, elles nous font prendre conscience de notre propre grandeur. Une pure joie existentielle

 

Juillet 2023

Lieu : Tongariro, Nouvelle-Zélande

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